Comment le Togo exporte-il l’or qu’il n’a pas ? Grâce à la production artisanale de son voisin béninois qui est acheminée illicitement par des trafiquants. Reportage.
Le conducteur de la moto lutte pour avancer sur ce chemin caillouteux et sinueux. Destination les hauteurs de Koussigou, près du village de Kouatèna (Perma), dans le nord-ouest du Bénin. A l’arrivée, une cinquantaine de personnes s’activent sur le terrain parsemé de trous. Car il faut d’abord creuser pour obtenir le précieux métal. Jusqu’à 20 à 30 mètres sous la surface. “Même plus, parfois”, raconte un mineur. “Une fois que nous sommes proche d’un filon, nous plaçons de la dynamite, ça explose, et nous remontons les roches”, poursuit-il. A la surface, un autre homme s’attache à casser en mille morceaux ces bouts de roches pour pouvoir ensuite en extraire l’or. Il vient d’arriver de Malanville, situé à 450 kilomètres, dans le nord-est du pays, et se plaint de la modicité de son gain journalier, “à peine 2 600 francs CFA (4,6 dollars) par jour”.
“Ces gens extraient l’or clandestinement”, se désole l’ancien directeur de la promotion et du développement du secteur minier au ministère de l’Eau et des mines, Roger Koura. “Quand la police républicaine vient les rafler, ils fuient. La seule façon de sauver ce secteur est d’octroyer des zones d’exploitation à des entreprises crédibles”, juge-t-il. A Perma, l’élu local Cyrille Kouagou, chef d’arrondissement, déplore ne disposer d’“aucun moyen de surveillance”. “L’arrondissement compte environ 17 500 habitants et plus de 15 000 d’entre eux sont dans cette activité illégale”, assure-t-il. L’élu note également que les villages où vivent les mineurs (Kouatèna et Nyaniamo) sont en majorité habités par des étrangers venus, pour la plupart, du Togo, Niger, Nigeria, Mali et Burkina Faso.
Principale zone aurifère du Bénin, la région de Perma comprend des gisements d’or à la fois filoniens (dans les roches du sous-sol) et alluvionnaires (dans les lits des cours d’eaux). Replongeant dans le passé, Roger Koura rappelle que des mines d’or étaient déjà exploitées par les colons français au milieu du XXème siècle. Dans les années 2000, une société occidentale, Oracle, a exploité également des petites quantités.
“Depuis, le ministère des Mines a octroyé des concessions à des petits exploitants, mais ce sont des quantités d’or négligeables”, regrette Cyrille Kouagou. Pour réorganiser le secteur, l’Etat du Bénin a octroyé, en 2020, trois agréments d’exploration à deux sociétés chinoises et une béninoise, Donga-Métal. L’une des sociétés chinoises a déposé cette année une demande pour obtenir l’agrément d’exploitation. Son dossier serait en bonne voie.
A Perma, les acheteurs du minerai, surtout des étrangers, donnent souvent des avances en argent aux orpailleurs (préfinancement). “Je vends beaucoup aux Haoussas nigériens”, rapporte le sourire aux lèvres, Idelphonse Zato, un orpailleur. Cyrille Kouagou continue de fulminer : “les orpailleurs clandestins s’enrichissent car ils ne paient pas d’impôts. Les pertes sont estimées à des milliards de francs CFA car l’Etat n’a pas le contrôle sur ces zones aurifères, donc il est le grand perdant”. Amaigri par le travail, Idrissou Abdoulaye, mineur, se défend : “ce n’est pas de notre faute si nous ne payons pas de taxes à l’Etat”. Il certifie que lui-même et plusieurs mineurs ont déjà versé des pots-de-vin à des policiers. Une taxe informelle qui serait fonction de la taille de la zone exploitée. Cette accusation est rejetée en bloc par un responsable du commissariat de Kouatèna. Pour le Chef d’arrondissement, l’Etat devrait octroyer des concessions aux mineurs artisanaux, et créer des bureaux officiels d’achat pour réguler cette activité.
La plupart de l’or extrait au Bénin est acheminé illégalement au Togo voisin grâce aux frontières poreuses. C’est ce circuit illicite qui permet d’expliquer pourquoi le Togo exporte beaucoup plus d’or qu’il n’en produit. 10 066 kgs de ce minerai (pour une valeur de 10 147 millions de francs CFA – 17,5 millions de dollars) ont été exportés depuis le Togo en 2018 selon l’organisation Initiative pour la transparence dans les industries extractive (ITIE). Mais la production extraite au Togo, dans les régions des Plateaux, de la Kara et Centrale, est largement moindre, selon plusieurs experts locaux, même si aucune étude n’a été encore réalisée pour évaluer “la différence significative entre les exportations et la production” selon ITIE-Togo.
D’après une étude de la Banque mondiale de 2015, la majeure partie de l’or quitte ensuite légalement le Togo, en direction de la Suisse, des Emirats arabes unis, du Liban ou encore de l’Inde, où il est raffiné. C’est grâce à son attractivité fiscale que le Togo est devenu en Afrique de l’Ouest une plaque tournante du trafic d’or. Sa taxe à l’exportation pour l’or est seulement de 30 à 45 000 francs CFA le kilo, contre 450 000 FCFA en moyenne dans les pays voisins.
Pendant plusieurs années, deux groupes libanais, Wafex et Soltrans, ont contrôlé l’achat d’or pour l’exportation depuis le Togo. Selon une enquête de l’ONG Suisse, Déclaration de Berne, menée en 2015, Wafex appartenait à Ammar, une famille libanaise. L’investigation révèle que cette famille achetait à Lomé de l’or issu de la contrebande, et l’exportait ensuite en Suisse à travers, sa filiale genevoise, MM Multitrade. Après avoir vendu leur marchandise, ces deux géants libanais revenaient au Togo, où ils sont installés depuis 2002, avec des voitures d’occasion qu’ils revendaient sur place, a indiqué pour sa part une source de la Direction des Mines et de la Géologie. Avec les bénéfices de ce commerce de véhicules, ils achetaient à nouveau de l’or.
Dans une étude d’évaluation réalisée en 2018, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) apportait des précisions sur ce circuit : l’or devient ainsi une “monnaie parallèle qui peut être utilisée en dehors de la zone Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) pour l’achat d’autres biens et services, permettant de contourner la législation régionale qui impose le contrôle de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO)”.
Soupçonnées d’activités illégales par les autorités togolaises, Wafex et Soltrans n’ont jamais fait l’objet de poursuites judiciaires. Mais elles ont tout de même fermé leurs portes en 2018. Car suite à un rapport d’enquête de la direction générale des mines et du commissariat des impôts du 25 septembre 2019, les deux entreprises ont été retirées de la liste des sociétés reconnues par l’organisation internationale Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) qui supervise le secteur extractif. Selon un ancien employé de Wafex joint au téléphone, “les actionnaires ne sont plus au Togo et ont changé de domaine”. Injoignables, les dirigeants de Soltrans n’ont également pas pu répondre à nos questions.
Depuis, l’exportation de l’or est provisoirement suspendue au Togo. Elle pourrait reprendre lorsqu’une réforme du système, qui est en cours, sera finalisée, selon cette même source de la Direction générale des Mines et de la Géologie. Cette réforme pourrait inclure l’octroi d’autorisations d’ouverture de comptoirs et la révision du niveau des taxes à l’exportation de l’or. L’un des enjeux de cette réforme serait de lutter contre le terrorisme, alors que le nord du pays est de plus en plus menacé par la présence de djihadistes qui utiliseraient le trafic d’or comme source de financement.
En 2018, l’OCDE déplorait déjà la légèreté avec laquelle les Etats accordent des agréments de comptoir d’achat de l’or sans aucune enquête préalable concernant “la traçabilité et l’origine des fonds”. Et elle mettait en garde : “ce manque d’encadrement des circuits de commercialisation pourrait être exploité par des réseaux criminels ou terroristes pour régler leurs transactions, distribuer ou blanchir les profits de leurs activités criminelles”.
Marie-Louise Félicité BIDIAS (Bénin)
Pierre-Claver KUVO (Togo)
Cet article a été rédigé par Notre Epoque en collaboration avec De Cive (Le Citoyen) dans le cadre de “La Richesse des Nations”, un programme panafricain de développement des compétences médias dirigé par la Fondation Thomson Reuters. Plus d’informations sur http://www.wealth-of-nations.org/fr/. La Fondation Thomson Reuters n’est pas responsable des contenus publiés, ceux-ci relevant exclusivement de la responsabilité des éditeurs.
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