Le Journal de NOTRE EPOQUE

Journal béninois d’investigation, d’analyses et de publicité – Récépissé N° 953/MISPCL/DC/DAI/SCC du 27 mars 2007

Les propositions de Riposte face à la pandémie par Philippe NOUDJENOUME

Philippe NOUDJENOUME Cotonou, le 30 Mars 2020

Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin

Président de la Convention Patriotique des Forces de Gauche

A

Son Excellence Patrice Talon

Président de la République, Chef d’Etat

Chef de Gouvernement

Cotonou.

Objet : Propositions-de Riposte face à la pandémie de COVID-19

Mr le Président

Vous avez, dans une interview en date du 29 Mars 2020, essayé d’expliquer au peuple, les fondements et la portée des mesures « minima » que votre Gouvernement a jusque-là prises, dont celle portant «l’établissement d’un cordon sanitaire autour de certaines communes » centrales et névralgiques du pays et considérées comme les plus exposées à cette pandémie que sont : « Cotonou, Abomey-Calavi, Ouidah, Tori, Zè, Sèmè-Podji, Porto-Novo, Akpro-missérété, Adjarra, So-Ava et Aguégué ».

Vous avez tenté de vous justifier mais avez-vous le sentiment d’avoir convaincu ?

A mon « interpellation » à votre endroit en date du 23 mars 2020, je disais ceci : « Je m’adresse à vous en tant qu’Autorité Suprême en Charge aujourd’hui de la destinée des femmes et des hommes de ce pays, le Bénin, notre chère Patrie ». C’est pour souligner la Grande Responsabilité qui vous incombe en tant que Seul Capitaine à bord du Navire Bénin au milieu des flots hostiles où tous, équipage comme passagers, n’attendent que vos directives pour se battre ensemble pour la survie. Mais cela ne semble pas être le cas en ce moment.

Monsieur le Président de la République,

A la simple analyse de vos propos, il est apparu qu’ils contiennent trois grands non-dits qui faussent complètement l’ensemble de vos argumentaires et conduisent à une fuite de responsabilité gouvernementale.

Le premier non-dit: Vous déclarez ceci : « Pour accompagner la réduction de mobilité ou les confinements, les pays riches débloquent des sommes faramineuses et certains font même recours à des solutions monétaires à peine déguisées, voire la planche à billets pour prévenir le chaos socio-économique inévitable. Le Bénin notre pays, à l’instar de la plupart des pays d’Afrique, ne dispose pas de ces moyens ». Autrement dit, pour décider de la réduction de la mobilité ou des confinements, il faut être un pays riche. Car il faut débloquer « des sommes faramineuses » y compris l’utilisation de la « planche à billets » pour accompagner cette mesure. Je ne vais pas ici répondre à l’aspect d’utilisation de planche à billets, ce qui touche à la question de souveraineté monétaire, car c’est vous-même ensemble avec vos pairs de l’UEMOA qui maintenez nos pays dans l’esclavage monétaire !

Je conviens qu’il n’y a aucune comparaison possible entre les moyens dont dispose un pays comme la France ou les Etats-Unis avec ceux de nos pays africains, a fortiori le Bénin. Mais qu’en est-il des pays à structures économiques comparables à celles du Bénin ? Le Sénégal adopte un fonds de riposte de 1000 milliards pour faire face aux conséquences économiques, sanitaires et sociales de COVID-19 dont une enveloppe de 50 milliards « sera consacrée à l’achat de vivres pour l’aide alimentaire d’urgence …» ; le Niger annonce l’adoption d’un montant de 595 milliards CFA comme fonds de riposte contre la pandémie avec les mesures telles que : gratuité des factures d’eau et d’électricité pour avril-mai ; recrutement de 1500 agents de santé, libération de 1540 détenus, report et allègements fiscaux pour les importateurs ; enfin le Gouvernement du Nigeria décide d’un budget substantiel avec des mesures de solidarité telles «un moratoire de trois mois dans le remboursement de tous les prêts» des commerçants, des marchands et des agriculteurs, « un moratoire similaire de trois mois pour le remboursement de tous les prêts financés par le Gouvernement fédéral auprès des Banques de l’industrie, de l’agriculture et de l’export-import ; la distribution de deux mois de rations alimentaires pour les déplacés de l’intérieur. Et nous savons en plus ce que l’appel du Président BUHARI « à tous les Nigérians à prendre la responsabilité personnelle de soutenir ceux qui sont vulnérables au sein de leurs communautés » a déclenché comme vague de solidarité des grandes entreprises privées et des possesseurs de capitaux au Nigeria tels Dangote, Elumelu etc. face au péril commun. Le gouverneur de Lagos par exemple a fait des packs de nourriture contenant du riz, des haricots, du gari, du piment séché, de l’eau et des vitamines. Et je m’arrête à ces exemples de la sous-région. Telle s’impose la situation de guerre amenée par le COVID-19 et les instructions et directives doivent provenir d’abord du Commandant en Chef que vous êtes et qui doit en donner l’exemple.

Monsieur le Président de la République,

Le second non-dit : Vous avez déclaré que vos mesures prises : « permettront d’empêcher la propagation du virus à l’intérieur du pays tout en préservant l’activité économique dans une partie du territoire et en réduisant seulement la mobilité de certains acteurs dans la zone critique ». Fort bien. Mais une question se pose « certains acteurs » dont la mobilité sera réduite « dans la zone critique », ne subiront-ils pas de préjudices économiques de ce fait ? Quelle compensation leur est faite ?

Prenons des exemples concrets.

1°-Il est interdit aux bus et minibus de transport en commun de personnes, la circulation dans la zone de cordon sanitaire. Que deviennent les propriétaires et employés de ces minibus et bus qui cesseront leurs activités ? Que deviennent-ils et comment vont-ils vivre désormais ? Comment se déplaceront les bonnes dames pour se rendre au marché Dantokpa que vous n’avez pas fermé ? Et si elles ne peuvent se rendre au marché, comment vivront-elles ?

2°-Interdiction de circulation de la zone de cordon sanitaire aux autres régions du pays. Et les bus et nombreux minibus qui font par exemple le trajet nord-sud et qui se retrouveront sans clients et sans activités ? De quoi vivront désormais les propriétaires de ces bus et les nombreux chauffeurs employés ? Les nombreux conducteurs des taxis inter-régions vivront désormais de quoi ?

3°-Fermeture des bars, discothèques et autres lieux de réjouissance. Que deviennent les propriétaires de ces bars, discothèques et autre lieux de réjouissance et les nombreuses serveuses et serveurs qui y sont employés ? Ils vont vivre de quoi ?

4° Les conducteurs de taxi-moto ou « zémidjans » sont astreints à ne prendre à la course qu’une seule personne. Avec la réduction de la clientèle, n’augmenteront-ils pas les tarifs ? Dans ce cas, comment les populations qui prennent ces occasions, seront-t-elles compensées dans leur manque-à-gagner ? etc. Sans oublier que la zone « cordon sanitaire » est le centre névralgique économique et politique de l’ensemble du pays et que la réduction d’activités dans cette zone, impacte nécessairement économiquement l’ensemble des activités de tout le pays. Quelle compensation est prévue pour cela ? Rien. Autrement dit, vous adoptez une attitude de « sauve qui peut » en appelant la population à « d’énormes sacrifices » sans dire quelle part vous prenez vous-mêmes dans ces sacrifices ?

Troisième non-dit : Quelques jours avant votre intervention télévisée, plus précisément le 24mars, sur le campus d’Abomey-Calavi, un de vos policiers a tiré à balles réelles sur un étudiant et l’a abattu de sang-froid ; il s’agit du jeune DJAHO Théophile. Pour quelle cause ? Il réclamait justement que vous ordonniez la limitation des rassemblements (pour empêcher la propagation du virus) sur le campus en ordonnant la fermeture des amphis. Le sang a été versé pour cause de lutte contre le CORONAVIRUS. C’est un événement notable dans la vie politique actuelle de notre pays. Vous avez observé un silence sur ce crime sans un mot de compassion à la famille éplorée ainsi qu’à la communauté universitaire. Ce silence n’est-il pas synonyme de votre implication personnelle dans ce crime et d’en avoir été le commanditaire ? On ne peut tirer une autre conclusion.

Monsieur le Président de la République,

Par votre intervention du 29 Mars 2020, vous êtes passé complètement à côté de la plaque en affichant une démission réelle de votre Responsabilité face à la crise de la pandémie actuelle. Face à une guerre sanitaire et économique implacable à caractère universel, et face à la détresse des hommes, vous pratiquez une politique de l’autruche par le refus des décisions et mesures incontournables.

Ces mesures peuvent se répartir en trois grandes séries : sanitaires, économico-sociales et politiques.

A- Du point de vue sanitaire : Le confinement est désormais obligatoire et ne concerne pas que les pays riches. Les modalités peuvent varier selon les structures économiques et sociales de chaque pays, mais il est inévitable. Il importe d’opérer immédiatement une révision de la politique sanitaire du Bénin en mettant l’homme au centre des préoccupations gouvernementales et donc en soustrayant la santé aux règles de profits individuels et de la loi de marché. Ce qui implique le recrutement immédiat de nombreux agents de santé, l’équipement des centres de santé, l’acquisition de plateaux techniques adéquats pour la prise en charge des patients et l’organisation d’une détection de masse. Cela, pour l’application du principe « sauver l’homme d’abord avant toute considération financière »

B–Du point de vue économique et social :

1° Adoption d’un budget de riposte pour faire face aux problèmes suivants :

Ce budget devra couvrir l’aide de l’Etat aux entreprises et personnes impactées ( transport, tourisme, artisanat, bars et débits de boissons etc.) par les mesures prises : report des recouvrements de taxes et impôts, gratuité pour la période d’au moins trois mois des factures d’eau et d’électricité, suspension de paiement des loyers pour les locataires, et définition d’un fonds de compensation pour les propriétaires, moratoire de remboursement des prêts auprès des banques et institutions de finances de la place avec garantie de l’Etat et compensations adéquates de l’Etat à ces institutions bancaires et financières, suspension de paiement pour les allocataires de véhicules pris en location-vente (voitures, engins à deux roues), pour des frais retenus auprès des propriétaires et compensation adéquates, aide financière aux conducteurs de taxi-moto » zémidjans », nécessairement frappés par les mesures, distribution de vivres et rations alimentaires aux populations démunies non seulement dans la zone cordon mais dans tout le pays etc.

2° Appel du Gouvernement aux Béninois et Béninoises de tous ordres sans considération politique à la solidarité, car il n’y a pas de politique face au péril commun, face à la mort commune. Car avant la politique, il y a d’abord la vie.

D’ailleurs sans attendre vos initiatives, nous assistons déjà à la base, à un élan de solidarité par des aides aux entreprises diverses comme des banques, des personnes physiques, y compris des interventions d’institutions extérieures. Le plus grave est que, sans un appel de votre part, vous lancez un communiqué en date du 30 Mars afin de recueillir les contributions annoncées sans dire comment, dans quel budget cela s’insère et comment elles seront utilisées pour secourir l’homme en détresse. Est-ce responsable ? Est-ce responsable de faire supporter l’effort de guerre par les autres ?

3° Appel à la solidarité internationale face au péril.

C- Du point de vue politique.

Il faut réaliser une union sacrée de toute la population sans exclusive :

En conséquence

1°-Faire appel à toutes les bonnes volontés, possesseurs de moyens financiers, quels que soient leurs bords politiques pour financer ce fonds de solidarité. Ce qui implique :

2°-la prise d’une mesure de grâce en faveur des détenus politiques, des exilés politiques et la sortie et le retour de ces hommes dont la contribution à l’effort de guerre actuel est exigée. Le dernier exemple du Président nigérien en faveur de son rival politique Hama Amadou doit être un exemple.

3°- La mise en liberté de prisonniers de droit commun en attente de jugement et/ou condamnés en correctionnel pour faits délictuels, ceci pour le désengorgement des prisons surpeuplées où la promiscuité extrême pourrait provoquer une hécatombe lorsque le COVID-19 aura pénétré nos prisons.

4°- L’annulation ou tout au moins le report des prochaines élections municipales et communales exclusives dont le processus est en cours et qui ne pourra qu’approfondir le fossé politique entre Béninois à l’heure où la nécessité de l’Union sacrée s’impose.

Monsieur le Président de la République,

Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

L’union et la solidarité, telle est la voie nécessaire pour le salut collectif face au péril. Si votre gouvernement rencontre un obstacle à cela, qu’il le dise ouvertement au peuple pour l’impliquer et qu’ensemble on trouve les solutions à ce qui apparait comme une catastrophe annoncée.

Mais si d’aventure, vous rejetez mes propositions qui ne sont que de bon sens et d’humanité, alors vous aurez choisi de commettre par omission et abstention, ce qui pourrait s’apparenter demain, à un crime contre l’homme. La plainte au pénal de plusieurs centaines de médecins français le 19 mars dernier, contre le Ministre de la Santé et le Premier Ministre français Edouard Philippe, au motif qu’ils «avaient conscience du péril et disposaient de moyens d’action, qu’ils ont toutefois choisi de ne pas exercer » est là pour nous servir d’exemple.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président de la République, mes salutations distinguées.

Professeur Philippe NOUDJENOUME.