6ème édition du Festival Eclosions Urbaines à Porto-Novo : Gérard Bassalé valorise les cultes endogènes au Bénin
Historien d’art et Directeur du Centre Culturel, Artistique et Touristique OUADADA, Gérard Bassalé est promoteur depuis six (06) ans, d’un grand festival à Porto-Novo. Il s’agit du Festival Eclosions Urbaines qui permet de valoriser les cultes endogènes à travers la rénovation et la mise en tourisme des places Vodùn dans la ville capitale. L’initiative mobilise chaque année, un grand nombre d’acteurs, d’artistes et d’autorités nationaux et internationaux, autour d’activités de rénovation, d’exposition et de vernissage à Porto-Novo. Dans cet entretien, Gérard Bassalé, « pur produit du département d’histoire et d’archéologie de l’Université d’Abomey-calavi » comme il aime à le dire, nous plonge au cœur même des pratiques endogènes béninoises, où la femme prend un grand pouvoir.
Notre Epoque : Dites-nous d’où est partie l’idée du Festival Eclosions Urbaines ?
Gérard Bassalé : C’est une longue histoire… Mes travaux de recherches à l’Université portent en réalité sur les places Vodùn à Porto-Novo. Mais pour mieux comprendre ces places, j’ai dû me rendre aussi à Sakété, Pobè, Kétou, c’est-à-dire le long de la frontière du Nigéria, parce que vous savez, le Vodùn vient des Orisha. Les Orisha qui sont en réalité, les divinités dans la culture yoruba. Et donc, il fallait que je comprenne les relations qui existent entre Vodùn et Orisha. Je me suis rendu alors jusqu’à Adja Tado pour percer le mystère et pénétrer vraiment le panthéon Vodùn, puis que la plupart des communautés installées ici à Porto-Novo viennent de cet endroit.
Mon travail a intéressé la mairie de Porto-Novo et ses partenaires, notamment l’Agglomération de Cergy Pontoise et la Métropole de Lyon. A l’époque, ils initiaient des ateliers d’urbanisme et les experts du domaine essayaient de comprendre dans quel contexte les espaces publics à Porto-Novo, ont été créés. Par la suite, ils se sont rendus compte que ces espaces appartenaient à des collectivités familiales dans la ville de Porto-Novo. A ce moment-là, plusieurs autres interrogations ont surgi à leur niveau et j’ai pu, grâce à mes recherches, leur apporter les réponses nécessaires. Ils ont alors compris la nécessité de préserver ce patrimoine important de la ville de Porto-Novo, et m’ont demandé d’élaborer un projet de rénovation et de valorisation d’une série de vingt (20) sur les quarante (40) places Vodùn documentées par mon travail. Aujourd’hui, nous sommes dans le processus de la mise en place du projet de rénovation et de valorisation de ces places à travers le Festival Eclosions Urbaines. La place Sakpata Dohami à Houinmè est la neuvième que nous rénovons cette année.
Notre Epoque: Alors, comment est-ce que le festival se déroule concrètement chaque année ?
Gérard Bassalé : Les préparatifs durent presque un an. A la fin d’un festival, nous identifions déjà la prochaine place à rénover. Et comme je vous ai dit, ces espaces appartiennent à des collectivités, c’est-à-dire, à des « HINNOUS » en langue locale. Nous prenons donc contact avec ces collectivités familiales gestionnaires de ces espaces-là pour leur présenter le projet et demander leur avis. Il est très important d’avoir l’avis favorable de tous les « HINNOUVI », (ndr : tous les membres de la collectivité). Une fois qu’ils sont d’accord, nous commençons les études. Nous déployons sur le site une équipe pluridisciplinaire constituée de géomètres, d’historiens, d’architectes, d’urbanistes, d’artistes, d’artisans pour aller faire l’état des lieux. Nous recensons et documentons ainsi tout ce qui constitue élément patrimonial sur les espaces.
Nous demandons ensuite aux collectivités de nous faire des propositions sur l’aménagement de leurs espaces. Comment ils le conçoivent ? Qu’est-ce qu’ils veulent qu’on aménage ? Quelles sont leurs priorités ? Et ils nous font des propositions. C’est sur cette base qu’un dossier technique est élaboré et soumis d’abord à la communauté, ensuite à la mairie, puis aux partenaires pour validation. Une fois qu’un consensus est trouvé sur le dossier technique, nous lançons un appel à candidature auprès des artistes contemporains pour nous proposer des projets de création. Les meilleurs projets sont sélectionnés et nous organisons ensuite un atelier de conception. A cette occasion, chaque artiste sélectionné présente son projet de création qui est amendé et discuté. Les créations retenues doivent être en harmonie avec la volonté des collectivités et des habitants du quartier.
Le festival commence généralement en novembre par les travaux de ferraillage, de maçonnerie, de coffrage, la charpente et ensuite viennent les travaux artistiques. Les artistes viennent créer leurs œuvres sur les façades des murs des maisons qui bordent la place et sur les façades des murs du temple Vodùn. Ces œuvres ont pour objectif de raconter l’histoire de la collectivité, ou de révéler l’attribut des temples Vodùn sur la place. Si vous avez un temple de la divinité « Dan » par exemple, l’artiste peut représenter une œuvre de serpent. Si vous avez un temple de la divinité Ogou, l’artiste va représenter une œuvre de la divinité Ogou, ainsi de suite. Voilà un peu la démarche et la méthodologie que nous avons adoptées pour le festival.
Notre Epoque: Quelle a été la particularité du festival cette année ?
Gérard Bassalé : La place qui a été rénovée cette année est la place Sakpata Dohami qui est située dans le quartier Houinmè Château. Contrairement aux espaces que nous avons rénovés jusqu’à présent, ce sont les femmes qui sont majoritairement présentes sur cette place. Je dirai 95 ou 99 % des adeptes de cette place sont des femmes. C’est ce qui justifie d’ailleurs le thème du festival cette année qui est « Femme et pouvoir ». « Femme et pouvoir » parce qu’en réalité, dans le panthéon Vodùn, on pense que les femmes n’ont pas une place très importante. C’est tout-à-fait faux. Contrairement aux religions monothéistes importées dans notre pays, dans le Vodùn, nous avons des femmes comme prêtresse. Et puis quand je prends le culte des morts par exemple, dans le temple des morts qu’on appelle Yohô, c’est une femme absolument qui est choisie pour officier. Ce n’est jamais un homme, et cette femme est appelée « Tangni non ». C’est elle seule qui peut aller prier sur les « Assins » qui sont les symboles représentatifs des morts sur l’autel du temple. Ça veut dire que c’est la femme seule qui peut vraiment être en communication avec les morts. Et en même temps, c’est cette femme-là qui donne la vie, puisque c’est elle qui enfante, vous voyez ?
Et quand je fais un parallélisme, vous allez voir que Sakpata, qui est la divinité principale de cette place que nous avons aménagée cette année, c’est la terre ; Sakpata, c’est la terre. Et la terre, c’est notre mère, c’est la mère nourricière. Vous remarquerez que la plupart des divinités viennent de Sakpata. Quand vous prenez par exemple Ogou, c’est dans la terre, c’est Sakpata qui donne ça. Quand vous prenez n’importe quelle divinité, le Lègba par exemple, vous verrez que ça vient de Sakpata. Leurs représentations sont souvent en poterie ou en mottes de terre, donc c’est Sakpata. En conclusion, la femme a vraiment un pouvoir important. Lorsque vous rentrez encore dans les cultes de revenants, Egungun et autres, la femme y a une place très importante. C’est elle qui doit faire des prières avant que le premier revenant ne résonne ; c’est elle qui doit faire les prières avant que les cérémonies ne commencent. On l’appelle Iya Allatchè, c’est-à-dire la femme au pouvoir, Iya Allatchè. Donc du coup, nous avons pensé à mettre en valeur justement la place de la femme dans le panthéon Vodùn à travers le thème du Festival cette année qui est : « Femme et pouvoir ».
Notre Epoque: Quels ont été les travaux de rénovation exécutés sur la place Sakpata Dohami ?
Gérard Bassalé : Cette place est très stratégique et il était important de procéder sans délai à sa rénovation à cause du rythme accéléré de l’urbanisation dans la zone. L’espace dédié au culte Sakpata a été considérablement réduit en raison de l’implantation des maisons sur la place. Pour une première fois, nous avons dû couler une dalle pour disposer de plus d’espace. Nous avons rénové les façades du temple et créé des œuvres artistiques sur ces façades. Nous avons aussi pensé à coiffer la dalle avec une petite paillote aménagée, pour garantir sa durabilité. En bref, c’est ce que je peux dire par rapport aux travaux qui ont été faits sur cette place.
Notre Epoque : Et parlant de l’assainissement de la zone, qu’avez-vous fait pour garantir la propreté des lieux ?
Gérard Bassalé : Effectivement, ce problème est un peu général dans la ville de Porto-Novo où les gens installent des puisards ou déversent sans gêne, les déchets solides dans la rue. Nous avons dû installer plusieurs puisards dans les maisons, drainé les eaux des douches et faire tout le nécessaire pour éviter que l’espace ne soit sali. Donc effectivement, il y a un travail important d’assainissement qui a été fait dans la zone. Et l’entretien régulier du site sera géré par un comité mis en place de concert avec les collectivités familiales et les habitants du quartier.
Notre Epoque : Désormais, le site va être mis en tourisme ?
Gérard Bassalé : Effectivement, comme je vous ai dit, j’ai localisé une quarantaine de places dans les quartiers anciens de Porto-Novo. L’idée est de rénover progressivement ces espaces-là. C’est pourquoi le projet s’appelle Eclosions Urbaines. Ça veut dire que à chaque fois, il y a un œuf qui éclot et c’est la vie qui éclot, c’est le patrimoine qui éclot. Donc l’idée est de mettre en circuit touristique, l’ensemble de ces espaces qui sont rénovés. Parce que, le Bénin est un pays très riche mais très peu connu à l’international à cause de sa stabilité. On connait le Nigéria, parce qu’il y a le football, parce que peut-être c’est un Etat de football important. On connait le Congo, l’Afrique Centrale, le Libéria, à cause de la guerre. Et quand on parle généralement de l’Afrique, c’est en mal. Si ce n’est pas la guerre justement, il s’agira de la famine et ainsi de suite. Mais dans tout cela, notre pays reste stable et on n’en parle peu.
De l’autre côté, ceux qui connaissent le Bénin à l’étranger, font tout de suite référence à son patrimoine Vodùn. C’est pour ça que nous pensons qu’il faut s’appuyer sur cet élément-là pour développer notre tourisme. Mais en même temps, le Vodùn n’est pas facile d’accès. Si ce n’est pas un initié ou un adepte qui amène les visiteurs vers les temples, il n’est pas possible pour eux d’y accéder ! En rénovant les places, nous rendons donc cela possible. Nous permettons aux touristes de découvrir nos ‘’ Lègba, Tolègba’’, nos divinités ‘’ Dan, Sakpata ‘’ et pratiquement toutes les autres divinités de l’espace, jusqu’aux arbres sacrés.
Notre Epoque : Ce faisant, vous démystifiez le Vodùn aux yeux de tous et corrigez la mauvaise image que bien de gens se font du culte !
Gérard Bassalé : Exactement. Les gens ont une très mauvaise idée du Vodùn et c’est renforcé justement par les nouvelles religions monothéistes qui sont arrivées, qui fustigent le Vodùn, le traitant de religion diabolique, satanique. En rénovant les places et en les ouvrant au tourisme, le touriste se rend compte que le Vodùn n’est pas du tout de la magie noire, ce n’est pas de la sorcellerie, mais c’est vraiment une religion qui est respectueuse de l’environnement. Le culte Vodùn est intimement lié à l’environnement, à la nature, à la forêt. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons des forêts sacrées. Donc les gens se rendent compte finalement qu’ils n’avaient que des préjugés sur le Vodùn.
Notre Epoque : Malgré le pouvoir de la femme dans le culte Vodùn, il lui est tout de même interdit de voir le Vodùn Oro. Comment expliquez-vous donc ce fait ?
Gérard Bassalé : La femme ne doit pas rencontrer le Vodùn Oro, c’est un fait. Mais c’est elle qui lance le rituel avant la sortie du fétiche. C’est « Iya Lodé », elle seule qui est en droit d’aller dans la forêt sacrée pour donner le top. Ce qui veut dire que sans cette femme, il n’y a pas de cérémonie Oro par exemple.
Notre Epoque : D’où son pouvoir ?
Gérard Bassalé : Exactement, d’où son pouvoir. Dans ces circonstances, elle est au-dessus de tous les hommes. Vous voyez ? On peut avoir mille hommes, mais une seule femme suffit pour dominer tous, on n’a pas besoin du membre. (Rire…) Non, c’est une manière pour moi d’expliquer la chose. En réalité, c’est pour vous dire que sans la femme, on ne peut vraiment pas grand-chose dans le panthéon Vodùn. Elles sont vraiment indispensables dans le culte.
Notre Epoque: Parlez-nous des partenaires qui vous accompagnent dans ce projet ?
Gérard Bassalé : Le Festival est soutenu par l’Agglomération de Cergy Pontoise. Et actuellement, nous bénéficions aussi du soutien de la Métropole de Lyon qui propose de financer une place l’année prochaine. Dans le cadre du projet Porto-Novo Ville verte, l’AFD, l’Agence Française de développement nous soutient pour la rénovation de cinq places Vodùn, vous voyez. Donc il y a pas mal de partenaires qui appuient la municipalité de la ville de Porto-Novo dans ce projet de rénovation des places Vodùn.
Notre Epoque : Est-ce que vous avez déjà une idée des places prochaines à rénover ?
Gérard Bassalé : Dans le cadre par exemple du projet Porto-Novo, ville verte, financé par l’AFD et d’autres partenaires comme la Métropole de Lyon, Cergy Pontoise et autres, nous aurons les places Tê-Agbanlin, Avessan, Yèdomè de Tofa, Lokossa, Gbèloko… qui vont être rénovées.
Propos recueillis par Mariam TIKADA
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