Un rapport d’un think-tank australien dévoile les stratégies mises au point par la Chine pour recruter les meilleurs talents technologiques et scientifiques à travers le monde
Par Thibault Minondo
Un rapport publié jeudi 20 août par l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute) détaille le mode opératoire de la Chine dans son recrutement de talents à travers le monde. Bien plus qu’une simple politique RH internationale, il s’agit là d’une véritable stratégie de vol technologique à grande échelle. Le rapport est publié par l’institut stratégique australien, et s’inscrit dans la lignée de plusieurs mois (voire années) de relations tendues entre les deux pays. Les résultats de l’investigation devraient attirer l’attention des quatre coins du globe.
Ils décortiquent en effet la stratégie des 600 stations de recrutements chargées de séduire les meilleurs experts scientifiques et technologiques. Les deux premières phrases du rapport parlent d’elles-même :
Le Parti communiste chinois (PCC) utilise des programmes de recrutement de talents pour obtenir des technologies de l’étranger par des moyens illégaux ou non transparents. Selon les statistiques officielles, les programmes de recrutement de talents chinois ont attiré près de 60 000 professionnels étrangers entre 2008 et 2016.
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L’engouement chinois pour l’innovation technologique et scientifique
L’intérêt de la Chine dans la course à suprématie technologique n’est pas nouveau. Dans une interview pour le magazine La Recherche en avril dernier, Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et professeur à Sciences Po, explique « L’année 1986 me paraît particulièrement importante, puisqu’au mois de mars est adopté un plan de développement des hautes technologies, plus communément appelé Plan 863. Ce plan listait 7 domaine prioritaires, jugés essentiels pour la sécurité nationale et le développement économique du pays : l’automatisation, la biotechnologie, l’énergie, les technologies de l’information, les lasers, les nouveaux matériaux et les technologies spatiales. »
Un cap fixé il y a plus de 30 ans, qui s’est affiné plus récemment avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012 : « réaliser le « rêve chinois » d’ici 2049, date qui correspond au centième anniversaire de la République populaire de Chine. Cela passe par faire de la Chine « un pays innovant » d’ici 2020, « un des pays les plus innovants d’ici 2030 et enfin, la première puissance innovante d’ici 2049 » détaille Antoine Bondaz.
On ne compte plus le nombre d’articles faisant référence à des tensions impliquant la Chine. Elles ont d’abord pris la forme d’une remise en cause de sa transparence dans sa communication vis à vis de la Covid-19. Dès le mois d’avril, de nombreuses voix se faisaient entendre à travers le monde pour lancer une investigation sur place, pour comprendre les origines d’une pandémie qui a officiellement tué plus de 800 000 personnes. Des réclamations qui, quatre mois plus tard, ont déclenché des affrontements sur plusieurs terrains de jeux. Il y a bien évidemment la partie d’échec que se livre les États-Unis et la Chine sur le plan commercial. Entre l’interdiction de la messagerie WeChat et l’imbroglio TikTok aux États-Unis, l’arrêt des ventes de l’application de visioconférence Zoom en Chine, chaque camp avance ses pions, et nous sommes loin d’avoir un dénouement.
L’Australie a des antécédents avec la Chine
Si chaque décision impulsive du président Trump envers le pays dirigé par Xi Jinping est scrutée à la loupe, en arrière plan, un autre pays est également engagé dans un bras de fer avec Pékin. L’Australie est depuis des années prise en tenaille par l’influence chinoise dans son paysage politique et économique. La publication du rapport par l’ASPI, un think-tank financé par le gouvernement australien, intervient après des mois de frictions.
En avril, le premier ministre Scott Morrison montait au front pour réclamer une investigation en Chine sur les lieux de l’émergence de la Covid-19. Une prise de parole qui passe très mal à Pékin, et qui déclenche une campagne de déclarations par médias interposés. Le directeur du média chinois Global Times, Hu Xijin va jusqu’à affirmer : « L’Australie est toujours là, à créer des problèmes. C’est un peu comme un chewing-gum collé sur la semelle des chaussures chinoises. Parfois, il faut trouver une pierre pour l’enlever. »
Dans les semaines qui suivent, l’escalade se traduit en sanctions commerciales envers l’Australie. Mi-mai, la Chine annonce réduire les importations de bœuf australien – 35% des importations seraient concernées – et taxer son orge à 80%. Les enjeux économique d’une saine relation avec la Chine sont vitales pour l’Australie. L’année dernière, le pays fournissait un contingent de 160 000 étudiants. En frais de scolarité, on parle de 12 milliards de dollars potentiellement évaporés pour les universités australiennes si les étudiants ne font pas leur retour. Une perte colossale, dont le rebond est étroitement lié à l’effet de la propagande du gouvernement chinois envers ses citoyens.
« Les familles chinoises se sont vues raconter une histoire nationaliste, selon laquelle malgré le succès de la Chine dans la gestion de la Covid-19, le reste du monde en a après eux. On a raconté aux chinois une version dans laquelle le virus a commencé aux États-Unis et s’est ensuite propagé en Chine. On rapporte en Chine qu’il n’est tout simplement pas sûr de se rendre en Occident. Pékin utilisera le levier de la santé publique comme excuse pour augmenter les inscriptions dans les universités chinoises, » soulignait en avril Salvatore Babones, observateur de la Chine et professeur associé à l’université de Sydney.
Poids des étudiants étrangers dans le budget des universités australiennes. Graphique : Statista
L’étau chinois est encore monté d’un cran en juin, lorsqu’une cyber-attaque de grande ampleur frappait l’Australie et paralysait plusieurs de ses organisations publiques et privées. Le gouvernement australien refusait de nommer le responsable, se contentant d’évoquer « un acteur étatique, doté de capacités très importantes ». En off, tous les indicateurs pointent toutefois vers la Chine. Une fois la cyberattaque évacuée, début juillet, Scott Morrison annonce une augmentation conséquente du budget de la défense de 40% pour l’année 2021. Au cœur de celle-ci, les investissements en technologie et cybersécurité devraient occuper une place de choix. Lancement de satellites, flotte de drones, l’Australie veut passer la vitesse supérieure et se prémunir contre d’autres tentatives de pressions venant de Chine.
Pour se dégager de l’emprise chinoise, l’Australie compte d’abord ouvrir les yeux de la communauté internationale sur ses agissements douteux en matière de pillage de talents.
Le rapport pointe du doigt la fuite des cerveaux orchestrée par la Chine
Le décor est planté. En sortant ce rapport sur les stations de recrutement chinoises à travers le monde, l’Australie entend susciter une prise de conscience et une forme de coalition contre le mode opératoire de Pékin. Le rapport met en avant une stratégie de recrutement des meilleurs cerveaux scientifiques et technologiques, au travers d’infrastructures multiples et complexes à déceler.
Le Parti Communiste de Chine considère que le développement technologique est fondamental pour ses ambitions. Son but n’est pas d’atteindre la parité avec les autres pays, mais la domination et la primauté. En 2018, le secrétaire général Xi Jinping a exhorté les scientifiques et les ingénieurs du pays à « s’emparer activement des sommets de la concurrence technologique et du développement futur« », entame le rapport dans son introduction.
Les Etats-Unis sont la cible privilégiée, identifiés comme « le plus grand « trésor » de talents technologiques. D’autres pays ne sont pas en reste, le Royaume-Uni, l’Allemagne, Singapour, le Canada, le Japon, la France, et enfin l’Australie auraient chacun vu plus de 1000 de leurs experts recrutés de la sorte depuis 2008.
Parmi les têtes de liste pour coordonner la bonne exécution de ces plans, on trouve l’United Front Work Departement (UFWD). Plus de 200 programmes de recrutement sont évoqués. Chacun fait l’objet d’une stratégie spécifique, avec des ramifications locales que le rapport a réussi en grande partie à identifier.
Le mode opératoire est assez normé. Une station de recrutement, après avoir élaboré son propre plan d’action, sous-traite son exécution à ses différents agents sur place. Associations, mairies, entreprises technologiques, anciens élèves, associations d’étudiants sur les campus universitaires… en fonction des forces en présence, chacune de ces cellules peut être activées. Un système de prime vient récompenser les recrutements. Jusqu’à 29 000 dollars par recrutement, en plus des 22 000 dollars annuels reçus par chaque stations pour couvrir les coûts d’exploitation.
Pour aider à faire pencher la balance, les scientifiques et experts visés décollent pour la Chine, un voyage tous frais payés. Au programme, visite des infrastructures, présentation à des acteurs hauts placés de l’état, et une ribambelle d’avantages en nature. Parmi les quelques 200 programmes répertoriés par le rapport de l’ASPI, le programme « Mille Talents » est celui qui a fait couler le plus d’encre. L’un des agents recruté par ce programme n’est autre qu’un nanotechnologiste de l’université d’Harvard, sans aucun héritage chinois. Le professeur Charles Lieber était en effet arrêté en janvier après avoir omis de déclarer les 50 000 dollars de salaire mensuels que lui versait une université chinoise dans le cadre du programme « Mille Talents ».
La majorité des recrutements se passe à l’échelle locale
Si le programme Mille Talents est relativement facile à identifier et court-circuiter (le départmeent américain de l’Energie interdit à ses scientifiques d’y participer) parce qu’il opère à l’échelle nationale, le rapport suggère toutefois que 80% des programmes de recrutement de talents sont gérés au niveau infra-national et peuvent attirer jusqu’à sept fois plus de scientifiques que les programmes nationaux. Un exemple marquant est celui de, Cao Guangzhi, cet ingénieur de Tesla dont nous parlions l’année dernière, pris la main dans le sac après avoir téléchargé du code de l’entreprise dans son cloud. Un vol de données commerciales sensées atterrir dans les mains d’une société chinoise rivale.
Dix avant plus tôt, Cao Guangzhi fondait l’ »Association of Wenzhou PhDs USA ». Une association loin d’être neutre sur le territoire américain, comme le révèle rapport du think-tank australien :
L’année suivant sa création, elle a signé un accord avec l’UFWD d’un comté de Wenzhou pour gérer une station de recrutement de talents qui recueille des informations sur les scientifiques étrangers et effectue un travail de recrutement. Cette année-là, elle a également organisé la visite de 13 de ses membres à Wenzhou pour des réunions avec des responsables du recrutement de talents d’organisations. […] Quelques années après sa création, l’association avait constitué un petit groupe d’élite de plus de 100 membres, dont des ingénieurs travaillant pour Google, Apple, Amazon, Motorola, ou encore IBM, des universitaires de Harvard et de Yale, ainsi que six employés du gouvernement américain.
Le cas de Cao Guanghzi est intéressant, mais ne représente qu’une fraction d’une stratégie bien plus alambiquée. Le transfert de technologie alimenté par la fuite de cerveaux à l’échelle internationale représente un défi majeur pour les gouvernements des pays concernés. Surtout que le nombre de ces stations est dans une phase de croissance exponentielle : 115 des 600 répertoriées ont vu le jour rien que sur l’année 2018.
À l’heure où une crise sanitaire sans précèdent est en train de rebattre les cartes de la mondialisation, chacun doit se réapproprier sa souveraineté scientifique et technologique. Les frontières physiques et idéologiques continuent de s’ériger partout dans le monde, de même que de nouvelles barrières économiques viennent contrecarrer des expansions internationales (voir Huawei, TikTok, et l’enjeu commercial de la 5G). Le contenu du rapport d’intelligence économique rédigé par Alex Joske a tout d’un film d’espionnage. Pour démasquer et faire tomber le système, il prône l’application du fameux concept du « Follow the money ». En traçant les flux financiers, une cartographie révélatrice doit permettre aux pays concernés de se protéger. Ne restera plus enfin qu’à construire un schéma légal adapté pour sanctionner les pratiques d’espionnage et d’ingérence.
Ce rapport met d’ailleurs l’accent sur une valeur clé : l’intégrité. Et comment, en construisant les mécanismes de défense appropriés autour de cette valeur, les gouvernements pourront reprendre le dessus :
Pour les gouvernements, il s’agira de créer un bureau national de l’intégrité de la recherche. Celui-ci doit : superviser les institutions de recherche financées par l’État, produire des rapports pour le gouvernement et le public sur les questions d’intégrité de la recherche, gérer la base de données publique des financements externes dans les universités et mener des enquêtes sur l’intégrité de la recherche.
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