Parler de l’origine du Fâ, c’est trop dire. Mais ce que j’ai appris pendant mes recherches est que le Fâ est parti de quelque part en Egypte. La Haute Egypte. Mais lorsque vous allez aujourd’hui au Nigeria, on vous parlera de « Ilé Ifé » comme l’origine du Fâ. En réalité, Ilé Ifè est une ville où les gens ont beaucoup travaillé le Fâ. C’est une grande forêt dans laquelle, de jour comme de nuit, on entend toujours des sons de tam-tam. Il n’y a que les initiés qui ont le droit d’entrer dans cette forêt. Ilé Ifè est un mot Yoruba (Nigeria) qui rejoint le « Fètomè » fon (bénin), c’est-à-dire la transcendance, la maison de Dieu. D’autres parleront de Paradis. C’est pour cela que les gens pensent que le Fâ vient de là-bas. Chaque pays du Golfe de Guinée possède son langage codé de Fâ. Au Bénin et au Nigeria, on vous parlera de « Dou ». Le « Djogbé » par exemple est un signe. Lorsqu’il apparaît deux fois, on parle de « Gbémindji ». « Mindji » en Yoruba signifie « deux », les mina vous diront « Evé gbé », toujours deux signes. Je reprécise donc que chaque pays possède son langage de Fâ et il serait erroné d’attribuer son origine à un peuple. Le Fâ est considéré comme le premier prophète au monde et c’est lui qui a donné le nom à chaque objet. Au Nigeria, ce prophète s’appelle « Orumila ».
Importance du Fâ dans la vie d’un Être humain
Le Fâ est d’une importance indéniable dans la vie d’un Être. Le Fâ est un langage entre Dieu et les Hommes. C’est le Fâ qui détermine ce que peut être la vie d’un homme. Je prends l’exemple de quelqu’un qui ne doit pas manger un fruit donné et qui ne le sait pas. Après avoir consulté, après avoir pris le Fâ, il sera informé et il comprendra enfin le sens de certaines choses qui lui arrivaient. C’est ce qu’on appelle le « Zounyiyi » ou prendre son « kpôli ». Lorsque vous prenez le Fâ, vous êtes informé sur votre « Dou », sur le langage codé par lequel vous êtes venu au monde, bref, sur votre signe. On peut, à la suite d’une consultation dire à quelqu’un qu’il ne doit jamais cultiver la terre et qu’il est né pour être commerçant. C’est celui qui ignore son signe qui cherche de droite à gauche. Il est donc nécessaire qu’un homme prenne le Fâ. Je connais des Européens qui viennent me demander de leur trouver un Bokonon (consulteur de Fâ) qui va leur donner le Fâ.
Est-ce à dire que seul le Bokonon peut donner le Fâ ?
Exactement, seul le Bokonon connaît le langage codé du Fâ. Quand le « Dou » tombe, il y a des chansons spécifiques que le Bokonon doit entonner ou des paroles qu’il doit dire. Par exemple, lorsque le « Djogbé » sort, le Bokonon dira « Djogbé alihoun », ce qui signifie « la voie est ouverte ». Mais la voie peut être ouverte vers la mort ou vers la richesse. On vous dira aussi : « Hôgba to ma gba do agbéto awoyo mè. Woin na whé bo kan na whé », ce qui signifie que « personne ne peut entreprendre une construction pour couvrir la mer. Il lui manquera toujours quelque chose ». Et celui qui est venu au monde sous ce signe ne sera jamais atteint par ces ennemis. Je reviens d’une cérémonie de prise de Fâ à laquelle j’ai été invité. Il y avait une personne à qui on a trouvé le « Gbé Winlin » et on lui a dit qu’il ne doit pas boire de l’alcool. On lui a aussi dit qu’il n’a pas une bonne manière de parler aux gens, ce qui fait que tout ce qui sort de sa bouche ne lui attire que des ennuis et que l’alcool ne fera qu’aggraver cette situation et le conduira à la mort…
Avec tous les charlatans qui existent aujourd’hui, comment peut-on reconnaître un vrai Bokonon ?
C’est vrai qu’aujourd’hui, il y a une grande tendance à la désacralisation de notre culture, c’est vrai aussi que le charlatanisme prend une grande ampleur. Mais lorsque quelqu’un lance le Dou, on sent tout de suite s’il est Bokonon ou si c’est un novice. Le Dou se lit de la droite vers la gauche comme l’arabe. Nous avons 356 langages codés dont seize principaux. Il est facile de détecter un faux bokonon.
Est-ce qu’on prend son Fâ juste pour connaître son signe ou peut-on aussi acquérir le pouvoir de devenir Bokonon ?
Prendre le Fâ, c’est d’abord chercher à connaître son signe. Mais lorsque tu prends le Fâ, tu deviens Bokonon en nature. Tu peux prononcer le non des signes sans attirer des malédictions sur toi.
Aujourd’hui, il y a des cours de Fâ. Ne pensez-vous pas que cela peut dénaturer le concept ?
Je dirai non, mais c’est à condition que le cours soit donné par un initié. N’importe quel Bokonon vous dira qu’il est resté auprès d’un autre Bokonon pour apprendre. Et je crois qu’il faudrait faire en sorte que le mythe qui entoure le Fâ soit levé afin qu’il soit accessible à tout le monde. C’est parce que moi je suis tout le temps avec les Bokonons que je maîtrise tout ce qui concerne le Fâ.
Y a-t-il un lien entre le Fâ, le Vaudou et la Médecine Traditionnelle ?
D’abord lorsqu’on parle de tradition, je veux qu’on s’entende sur le fait qu’il s’agit bien de la tradition évolutive. Un guérisseur traditionnel doit consulter le Fâ avant de traiter n’importe quelle maladie avec les feuilles. Le Fâ peut lui dire OUI comme il peut dire NON. Quelqu’un peut attraper une maladie des suites d’une malédiction ou parce qu’il a été incorrect avec une personne âgée. Dans le premier cas, des feuilles peuvent le guérir. Mais dans le second cas, seul un repenti sincère peut le guérir. C’est le Fâ qui détermine tout cela. Je vous donne l’exemple d’un jeune homme qui s’est rendu chez un guérisseur traditionnel parce qu’il avait des maux de tête. Après avoir consulté le Fâ, le guérisseur lui a dit qu’aucun médicament ne peut le guérir. Tout ce qu’il a à faire, c’est de retourner à la maison demander pardon à sa mère qu’il a offensé, ou alors il ne guérira jamais. Aucun Vaudounon ne peut installer son Vaudou sans consulter le Fâ. Vaudou est composé de deux mots : le Vau qui signifie le Fètomè, la maison de Dieu et le Edou qui signifie Fâ, dans le langage Evé. Le Vaudounon consulte donc le Fâ qui lui dit le signe sous lequel il doit installer son vaudou. Les vaudounons et les guérisseurs traditionnels ne peuvent donc exercer sans consulter au préalable le Fâ.
Y a-t-il des femmes Bokonons ?
Oui, mais elles sont en nombre très réduit. Ceci parce qu’il y a des endroits où une femme en âge de procréer ne peut aller. Lorsque vous mettez les pieds dans ces milieux, vous n’aurez plus jamais d’enfants. Il y a des choses que la femme en période de menstruation ne doit pas faire. C’est pour cette raison qu’on exige que la femme atteigne un certain âge avant d’être Bokonon. Mais la femme peut prendre le Fâ. Elle peut aller dans la forêt de Fâ et connaître son Dou, c’est d’ailleurs dire que la femme à reçu le Fa sissin.
Nous avons connu au Bénin tout récemment une colère des Vodounons envers ceux que nous appelons les membres des religions importées.
Est ce vrai que recevoir le Fa ou être initié en Fa se fait de deux manières ?
Chez la femme on parle de FA sissin c’est à dire qu’elle est limité dans son initiation contrairement à l’homme initié on dit Fa titê , il est à souligner que certains hommes reçoivent le Fa sissin quand ils sont en âge immature ou en faute de moyens pour faire au complet l’initiation.
Quel est le brassage entre la tradition africaine et celle contemporaine
La tradition africaine recommande la paix. Les religions importées sont venues s’installer au Bénin et elles ont été accueillies à bras ouverts par les Bokonons, les Vodounons… les Hauts Dignitaires du Bénin. La preuve est que lorsque vous allez aujourd’hui à Ouidah, vous aurez la Basilique Catholique juste en face des Vodounons, plus précisément devant le Temple des Pythons. Il en est de même dans plusieurs villages du Bénin. Ce genre de choses n’existe nulle part ailleurs. Avec l’arrivée des Eglises évangéliques, les problèmes ont commencé. Ces derniers n’ont que des injures à l’endroit des Praticiens du Fâ, des Vaudounons, des Praticiens de la Médecine traditionnelle… bref, de nos cultures. Ils disent que le Vaudou est le fétiche, que le Lègba est le satan. Les Dignitaires n’ont pas vite réagi car ils ont toujours des réactions très lentes. C’est parce qu’ils en avaient eu assez qu’ils ont décidé d’écrire au Président de la République, aux Institutions de la République, à tous ceux qui pouvaient les entendre pour se plaindre et exiger que les injures s’arrêtent. Si la guerre a toujours été évitée au Bénin, c’est surtout grâce à ces Hauts Dignitaires. En 1989, tout le monde s’attendait à une guerre ici, mais grâce aux prières et aux interventions des hommes de notre culture, elle a été évitée.
Oui, mais l’Eglise Catholique s’y était aussi fortement impliquée…
Je suis d’accord avec vous, mais nous avons fait ici de l’immersion culturelle. Les nôtres ne maîtrisant pas la langue française, ils ont accepté que les autres se mettent devant pour parler avec tout le monde. Mais les Catholiques connaissent le rôle que nos Dignitaires ont joué. Je dois dire que l’Eglise Catholique cohabite vraiment avec nos cultures. A Cotonou, vous avez le Centre Catholique SEGNON qui pratique les feuilles. Lorsque le Pape Jean-Paul II arrivait dans un pays, son premier geste, c’est d’embrasser la terre. Et chez nous, la terre symbolise le Vaudou SAKPATA…
Pensez-vous que la tradition africaine est mauvaise ou satanique ?
Non aucunement et je vous direz que dans notre culture, il existe le bien et le mal. Je vais donc inviter mes concitoyens à privilégier tout ce qu’il y a de bien dans notre culture, à cultiver l’immersion culturelle et à être fiers de leur culture. Notre culture est riche, le Fâ est riche et par le biais du Fâ, vous pouvez sauver votre vie. .
Initiation au Fa
La seconde initiation vaudou retenue est celle du FA, plus précisément du FA qui est conféré dans le bois sacré FA – ZU.
Nous voulons savoir s’il y un âge requis pour être admis au FA-ZU
« Il faut, pour se rendre dans la forêt sacrée, n’être ni trop jeune ni trop vieux. A quoi bon aller au FA-ZU se faire révéler le secret de la vie si l’on est déjà près de la mort ? Ceux qui ont atteint ou dépassé la puberté, et peuvent tenir dans leur main les 18 noix de FA sans les laisser échapper ».
Lorsque le postulant a réuni les objets prescrits : (animaux, volailles, couteau, houe, tissu, boisson …etc), il se rend chez le Bokonon où il les dépose.
Des prières sont dites pour tous ceux qui doivent participer à la cérémonie. On donne ensuite au néophyte de l’eau à boire.
Le départ pour le bois sacré a lieu le soir même. Il faut préciser que lorsque la déforestation oblige le Bokonon à organiser la cérémonie dans sa propre maison, le couteau demandé au candidat permet de stimuler la pénétration dans une forêt dense où l’on doit se frayer un chemin au coupe-coupe.
En cours de route, le candidat n’a pour tout vêtement qu’un pagne usagé, noué autour des reins , reçoit d’un assistant du Bokono un certain nombre de bourrades. A l’un des bouts de son pagne est nouée une modique somme d’argent censée représenter toute sa fortune. Le candidat insiste ainsi sur sa pauvreté au moment où il n’est pas encore éclairé par FA.
A l’approche de la forêt, on l’interpelle :
– Où vas-tu ?
– Je vais connaître ma vie, je veux voir mon signe de FA est sa réponse. « on entre pas ici dans la forêt de FA. Donne de l’agent avant d’entrer » poursuit celui qui l’a interpellé. Le candidat donne quelques sous et poursuit son chemin.
Un deuxième assistant du Bokonon l’arrête quelques minutes plus tard dans les mêmes conditions que le premier.
En fin de trajet, un troisième assistant lui pose les questions suivantes :
– As-tu fait tout ce que tu devais faire avant de venir ici ?
– As-tu été au marché pour offrir de bonnes choses à ton Bokonon ?
– As-tu labouré son champ ?
– As-tu fabriqué ou porté son hamac ?
– Lui as-tu donné un mouton à cornes ?
– Lui- as-tu offert une mouche à cornes ?
– Lui as-tu offert un cheval à cornes….etc
Le candidat répond par l’affirmative à toutes les questions dont les dernières évoquent l’effort surnaturel qu’il doit accomplir pour transformer sa vie.
Les interpellations sur le chemin du bois sacré symbolisent les difficultés de l’existence et la nécessité d’acquérir et de dépenser des richesses avant de s’élever socialement.
Le candidat entre dans l’enceinte sacrée, un panier contenant les volailles demandées par le devin, sur la tête. Une fois le panier retiré, on lui bande les yeux. Des sacrifices sont effectués et on allume un feu dont la fumée, s’élevant vers le ciel, est censé porter les paroles, les pensées, les vœux des humains vers Mawu (Dieu) car la révélation des choses cachées relève de lui seul.
Quelques instants plus tard, le bandeau lui est enlevé ; il découvre un petit tableau sur lequel figurent les indices des seize signes majeurs de FA. Le Bokonon les énumère dans l’ordre, où ils se trouvent :
GBE-MEJI
YEKU-MEJI
OLI-MEJI
DI-MEJI
LOSSO-MEJI
WLIN-MEJI
ABLA-MEJI
AKLAN-MEJI
GOUDA-MEJI
SA-MEJI
KA-MEJI
TROUKPIN-MEJI
TOULA-MEJI
LÊTÊ-MEJI
TCHÊ-MEJI
FU-MEJI
Puis il continue en ces termes :
Voir ce tableau c’est voir FA en pleine lumière. Seuls les initiés peuvent le contempler et accéder à la connaissance des mystères qu’il renferme.
Il est demandé au candidat d’élever un petit monticule de terre et de s’y installer. Le Bokonon dépose dans la concavité de fer houe les noix de FA (noix de palme) qu’il a apporté et les verse entre les mains du candidat. La houe est l’instrument dont on creuse les tombes et qui ouvre aux morts le domaine de l’au-delà ; l’initiateur par son geste, réconcilie le candidat avec la houe, c’est-à-dire avec la mort et l’inconnaissable. Les noix de FA représentant la vie, la mort, par l’intermédiaire de l’initiateur et par la grâce de FA, se transforme en vie.
La houe, instrument de travail, est aussi un symbole de richesse.
Au milieu des chants de l’assistance, le candidat sur l’invitation de l’initiateur porte les noix à son front et à son cœur, les élèves vers son maître et vers les quatre points cardinaux puis les repose dans le fer de houe. Ces gestes seront répétés trois fois. Lorsque les noix sont versées pour la troisième fois dans les mains du candidat, on lui apprend comment les manipuler pour obtenir, découvrir son signe de FA.
Quand le signe de FA est trouvé, les sacrifices exigés sur place sont immédiatement effectués et l’assistance quitte la forêt ou FA-ZU.
Le lendemain, l’initié le corps marqué de taches blanches, noires et rouges se rend en brousse avec son maître, un assistant et le tableau où les signes majeurs de FA sont inscrits. Un trou est creusé ; le tableau y est déposé et l’initié s’y installe. L’assistant lui rase la tête, lui coupe les ongles, lui lave le corps à l’éponge et au savon puis lance dans le trou le pagne usagé qu’avait porté l’initié ; le trou est fermé.
Habillé de blanc, l’initié revient à la maison de son maître où il se passe le haut de la tête à la craie blanche et fixe sur son front une parure faite avec du fil de couleurs blanches et noires et des plumes de perroquets.
Trois jours plus tard a lieu la recherche du signe de FA complémentaire (Agbassa) ; il correspond en astrologie au signe ascendant.
Les cérémonies se terminent par l’interprétation des deux signes trouvés.
L’initiation de FA qui vient d’être décrite n’est que la première étape d’un long parcours. L’initié pourra accéder par la suite à des degrés, plus élevés s’il en est jugé digne et s’il dispose des moyens financiers nécessaires
Dah HOUNGNIADAN
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