Ce 3 septembre 2020, mon article sur les mutineries militaires a été publié dans le African Studies Review, une revue scientifique du Cambridge University Press considérée comme l’une des plus (voire la plus) prestigieuses dans le domaine des études sur les questions africaines. Dans cet article, j’examine la mutinerie militaire conduite par le Capitaine Pascal TAWES en 1992 au Camp Kaba de Natitingou au Bénin. Mon analyse porte sur trois aspects de cette crise. Dans un premier temps, j’examine les causes (lointaines et immédiates) de la mutinerie. Ensuite, j’y passe en revue la gestion de la crise par le gouvernement SOGLO, notamment les mesures administratives et judiciaires contre les acteurs clés de la mutinerie, ainsi que les impacts de cette gestion légaliste sur la stabilité du Bénin entre 1992 et 1996. Enfin, j’y décrypte les actions consensuelles du régime KEREKOU ayant hérité de la crise à son arrivée au pouvoir en 1996, notamment sa collaboration avec le parlement béninois en vue de l’adoption d’une loi d’amnistie dans le but d’une résolution durable de la crise.
Il ressort de mon analyse que le principal facteur de paix au lendemain de cette mutinerie a été le consensus national issu de la Conférence Nationale de 1990. D’une part, le consensus autour de la nécessité d’un respect absolu de l’ordre constitutionnel établi et de la non-ingérence des militaires dans la sphère politique a rendu difficile un ralliement politique et social autour de la rébellion (qui a pourtant duré plusieurs années) et a ainsi évité une dégénérescence en un conflit de plus grande envergure. D’autre part, le consensus de 1990 autour des valeurs de compromis et de tolérance en vue d’une réconciliation après les années de dictature a plus tard facilité l’adoption d’une loi d’amnistie au parlement malgré l’opposition de quelques parlementaires. Enfin, c’est ce même consensus qui a permis l’acceptation des mesures de réinsertion et de réhabilitation des mutins par leurs camarades militaires, préservant ainsi une cohésion au sein des forces armées béninoises. La préservation de la paix au Bénin et ailleurs en Afrique requiert donc qu’un tel consensus soit cultivé et entretenu en permanence.
Plusieurs autres leçons peuvent être tirées de cette analyse. Par exemple le style de leadership du Président de la République peut se révéler déterminant dans le choix des réponses apportées à ces genres de crise. Il faut ici noter une différence entre le style du Président SOGLO, dont l’approche légaliste semble avoir montré des limites dans la résolution de la crise, et l’attitude de compromis et de recherche du consensus du Président KEREKOU qui, au lieu de faire usage de son pouvoir constitutionnel d’accorder la grâce présidentielle aux mutins condamnés et partis en exile sous le régime précédent, a choisi d’impliquer les parlementaires dans le processus de règlement de la crise.
Une autre différence notable dans le style de leadership des deux présidents susmentionnés est relative à leurs approches ethno-régionalistes respectives dans la nomination des hautes autorités de la défense nationale. Ainsi que le montrent les figures comparatives en annexe, le pouvoir militaire sous le régime SOGLO était essentiellement détenu par des ressortissants de la même région que le président. Ceci a d’ailleurs servi de motif aux leaders de la mutinerie pour mobiliser du soutien parmi d’autres militaires. Il a aussi contribué à exacerber les tensions pendant le règlement de la crise sous SOGLO en ce sens que les mesures prises contre les mutins étaient perçues comme un acharnement des autorités d’une région contre des militaires d’une autre région. En revanche, sous le régime KEREKOU, presque toutes les hautes autorités de la défense nationale étaient issues de régions autres que celles du président. Ceci a contribué à une adoption consensuelle de la loi d’amnistie et à la légitimation des décisions de réinsertion et de réhabilitation des mutins au sein de l’armée.
C’est ici le lieu de mentionner que cette étude fait partie d’une série d’analyses scientifiques, tant qualitatives que statistiques, ayant conduit à l’élaboration du modèle Consencratie (www.consencratie.com). Au cœur de ce modèle figurent les notions de consensus and d’incitation à une coopération ethno-régionale dans la gestion des affaires politiques et administratives. Les récents développements sociopolitiques au Mali viennent encore une fois confirmer la nécessité de redéfinir les règles de la gouvernance politique et administrative dans les pays africains. C’est là une condition, certes pas suffisante, mais nécessaire pour la bonne gouvernance et la stabilité sociopolitique de nos pays. S’il est entendu qu’il ne peut y avoir prospérité économique sans une bonne gouvernance publique doublée d’une stabilité sociopolitique, il est donc impératif que les pays africains se consacrent prioritairement à la mise en œuvre d’un modèle de gouvernance publique tel que Consencratie.
Juste Codjo, Ph.D.
Confronting Rebellion in Weak States: Government Response to Military Mutiny in Benin* http://dx.doi.org/10.1017/asr.2020.60
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