La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête en date à Cotonou du 23 mars 2020
enregistrée à son secrétariat le 31 mars 2020 sous le numéro
0822j346jREC-20, par laquelle monsieur Michel AHOHOU,
domicilié à Gbèdégbé, 09 BP 175 Cotonou, forme un recours en « annulation de toutes les décisions rendues par la CJC à l’égard du Bénin sur le fondement de l’article 9 du Protocole additionnel A/SP.1/01/05. » ;
vu la Constitution ;
vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique
sur la Cour constitutionnelle modifiée le 31 mai 2001 ;
vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle;
Ensemble les pièces du dossier;
Ouï messieurs Sylvain Messan NOUWATIN et Joseph
DJOGBENOU en leur rapport;
Après en avoir délibéré,
Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 : « Les décisions et avis de la Cour constitutionnelle sont rendus par cinq conseillers au moins, sauf cas de force majeure dûment constatée au procès-verbal» ;
que l’épidémie du coronavirus constitue un cas de force majeure qui habilite la Cour à statuer avec seulement quatre de ses membres;
Considérant que le requérant expose que l’Etat du Bénin a été
poursuivi devant la Cour de justice de la Communauté économique des Etas de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et a été condamné à plusieurs reprises du chef de manquements aux instruments communautaires de protection des droits humains, sur le fondement de l’article 9 du protocole additionnel A/SP.I/0l/05 du 19 janvier 2005 portant amendement du préambule, des articles 1, 2, 9, 22 et 30 relatif à la Cour de justice de la communauté (CJC),
ainsi que de l’article 4 paragraphe 1 de la version anglaise dudit protocole;
Considérant qu’il développe que le protocole originaire
A/P.l /7/91 signé et ratifié par le Bénin incluait dans le domaine
de compétence de la Cour de justice de la communauté (CJC) les différends entre un ou plusieurs Etats membres et les institutions de la Communauté à l’occasion de l’interprétation ou de l’application des dispositions du Traité et que les recours individuels contre les Etats membres n’étaient pas admis devant la CJC avant la modification, le 19 janvier 2005, par le protocole additionnel A/SP.I/0l/05 de l’article 9 grâce à laquelle la CJC devient compétente « pour connaître des cas de violation de droits de l’Homme dans tout Etat Membre … »; qu’il précise que cet amendement est modificatif des lois internes, en ce qu’il étend le champ d’abandon par l’Etat de sa souveraineté, et n’a pas été ratifié par l’Etat béninois en vertu d’une loi comme le prescrit l’article 145 alinéa 1 de la Constitution selon lequel les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale qui « modifient les lois internes de l’Etat … ne peuvent être ratifiés qu’en vertu d’une loi» ; qu’il sollicite en conséquence de la Cour de juger que ce
protocole n’est pas applicable au Bénin et de déclarer nulles et non avenues à son égard toutes les décisions rendues par la Cour de justice de la CEDEAO sur le fondement du dit protocole ainsi que l’article 4 paragraphe 1 de la version anglaise ;
Considérant que l’Assemblée nationale observe, par l’organe. de son secrétaire général administratif, qu’elle n’a jamais été saisie par le Gouvernement aux fins d’autorisation de ratification du protocole et par conséquent n’a pas autorisé sa ratification; que pour sa part, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération relève que l’article Il du protocole prévoit qu’il « entre en vigueur à titre provisoire dès sa signature» et « entrera définitivement en vigueur dès sa ratification par au moins neuf (09) Etats signataires, conformément aux règles constitutionnelles de chaque Etat membre» en précisant que l’entrée en vigueur provisoire et l’entrée en vigueur définitive emportent les mêmes
conséquences juridiques, le texte étant applicable à tous les Etats qui l’ont signé; qu’il ajoute que si le Bénin a signé le protocole, il ne l’a pas ratifié et invoque l’article 145 de la Constitution et la jurisprudence constitutionnelle fondée sur l’article 147 de la même Constitution qui soumettent l’entrée en vigueur d’un traité au Bénin à la double condition de sa ratification et de sa publication ;
Que le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et de la
Législation fait valoir que l’article Il alinéa 2 du protocole prévoit qu’il « entrera définitivement en vigueur dès sa ratification par au moins neuf (9) Etats signataires, conformément aux règles constitutionnelles de chaque Etat membre», mais que le Bénin ne l’a pas ratifié; qu’en outre, en érigeant la Cour de justice communautaire en juge supranational de la violation des droits humains commise au Bénin, ce Protocole additionnel modifie l’organisation des juridictions et les lois internes qui les régissent et ne peut dès lors être ratifié que conformément à l’article 145, alinéa 1 de la Constitution au moyen d’une habilitation légale qui
n’a pas eu lieu;
Vu les articles 1 er, 3 alinéa 2, 35,145 à 149 de la Constitution;
Considérant que les articles 1er et 3, alinéa 2 de la Constitution disposent successivement que « L’Etat du Bénin est une République indépendante et souveraine» et que « La souveraineté s’exerce conformément à la … Constitution qui est la Loi Suprême de l’Etat »; que cependant, et dans le but de réaliser l’intégration régionale ou sous régionale à la laquelle il s’est engagé dans le préambule et à l’article 149 de sa Constitution, l’Etat du Bénin peut consentir à un abandon partiel de souveraineté sur des matières objet de traités ou d’accords internationaux; que la Constitution consacre
notamment les dispositions de ses articles 145 à 149 à ces traités et accords internationaux; que selon les termes de l’article 145 de la Constitution « Les traité de paix, les traités ou accords internationaux, ceux qui modifient les lois internes de l’Etat. .. ne peuvent être ratifiés qu’en vertu d’une loi» ; que par suite, la simple entrée en vigueur d’un engagement international ne suffit pas à produire des effets à l’égard de l’Etat béninois;
Considérant qu’il est de principe que les engagements contenus dans les conventions internationales, les traités, les accords ou actes additionnels ou les protocoles qui les modifient ne prennent définitivement effet à l’égard de l’Etat que lorsqu’ils sont régulièrement transposés dans l’ordre interne et qu’ils préservent les droits fondamentaux conférés à la personne par la Constitution et la Charte Africaine des droits de 1 ‘homme et des peuples ;
Considérant que sans la ratification, le processus par lequel 1 ‘Etat béninois a entendu, en ce qui concerne le protocole, limiter sa souveraineté par sa soumission à cet engagement international ne peut être considéré comme ayant abouti et cette soumission ne peut être ni pleine ni totale;
Que sur le fondement de l’article 147 de la Constitution qui dispose « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois», il a été affirmé que « la ratification et la publication sont deux conditions indispensables et indissociables à l’insertion des traités dans l’ordonnancement juridique béninois» (Décision DCC 02-050 du 30 mai 2002) et en conséquence, que « la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 a été ratifiée par le Bénin le 30 août 1990 mais n’a jamais été publiée et n’entre donc pas dans le droit positif béninois» (Décision DCC 03-009 du 13 février 2003) ; qu’en effet, au sens de l’article 147 de la Constitution, non seulement un traité doit être ratifié, mais aussi publié; qu’il s’ensuit que la ratification par la loi et la publication au Journal officiel constituent les deux conditions cumulatives
indispensables et indissociables à l’insertion des traités dans
l’ordonnancement juridique béninois et privent d’effet à l’égard de l’Etat du Bénin un instrument juridique conventionnel qui n’y satisfait pas ;
Considérant en l’espèce que’ l’article 9 du Protocole primaire
(A/P.1/7/91), fixait ainsi qu’il suit la compétence de la Cour de
justice de la CEDEAO :
« 1. La Cour assure le respect du droit et des principes d’égalité dans
l’interprétation et l’application des dispositions du traité.
2. Elle connaît en outre des différends dont elle est saisie
conformément aux dispositions de l’article 56 du Traité, par les Etats Membres ou par la Conférence lorsque ces différends surgissent entre les Etats Membres ou entre un ou plusieurs Etats Membres et les Institutions de la Communauté, à l’occasion de l’interprétation ou de l’application des dispositions du Traité.
3. Un Etat Membre peut, au nom de ses ressortissants diligenter une procédure contre un autre Etat Membre ou une Institution de la Communauté, relative à l’interprétation ou à l’application des dispositions du Traité, en cas d’échec des tentatives de règlement à l’amiable.
4. La Cour a toutes les compétences que les dispositions du
présent Protocole peuvent de manière spécifique, lui conférer. » ; Considérant que la ratification de ce Protocole originaire signé à Abuja (République Fédérale du Nigéria) le 6 juillet 1991 par l’autorité compétente agissant au nom de la République du Bénin fut autorisée par l’Assemblée nationale suivant la loi n° 97-021 portant autorisation de ratification du Protocole A/P /1/91 de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de Ouest (CEDEAO) relatif à la Cour de justice de la communauté et promulguée le 20 juin 1997 ; qu’à la lecture du texte de l’article 9, les recours individuels contre les Etats n’étaient pas admis devant la Cour de justice instituée par ce Protocole ;
Considérant en revanche, que le 19 janvier 200S, le Protocole
additionnel (A/SP.l/01/05) portant amendement du préambule,
des articles 1er, 2,9,22 et 30 du Protocole A/P1/7/91 relatif à la Cour de justice de la Communauté, ainsi que l’article 4 paragraphe 1 de la version anglaise dudit Protocole modifie, ainsi qu’il suit l’article 9 sur la compétence de la Cour de justice de la CEDEAO :
« 1. La Cour a compétence sur tous les différends qui lui sont soumis et qui ont pour objet:
a) L’interprétation et l’application du Traité, des Conventions et Protocole de la Communauté
b) L’interprétation et l’application des règlements, des directives, des décisions et de tous les autres instruments juridiques subsidiaires adoptés dans le cadre de la CEDEAO;
c)L’appréciation de légalité des règlements, des directives, des décisions et de tous autres instruments juridiques subsidiaires adoptés dans le cadre de la CEDEAO;
d) L’examen des manquements des Etats membres aux
obligations qui leur- incombent en vertu du Traité, des
Convention et Protocoles, des règlements, des décisions et des directives;
e) L’application des dispositions du Traité, Conventions et
Protocoles, des Règlements, des directives ou des décisions de la CEDEAO;
f) L’examen des litiges entre la Communauté et ses agents
g) Les actions en réparation des dommages causés par une
Institution de la Communauté ou un agent de celle-ci pour tout acte commis ou toute omission dans l’exercice de ses fonctions.
« 2. La Cour est compétente pour déclarer engagée la responsabilité non contractuelle et condamner la Communauté à la réparation du préjudice causé, soit par des agissements matériels, soit par des actes normatifs des Institutions de la Communauté ou de ses agents
dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.
3. L’action en responsabilité contre la Communauté ou celle de la Communauté contre des tiers ou ses agents se prescrivent par trois (03) ans à compter de la réalisation des dommages.
« 4. La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l’Homme dans tout Etat membre.
5. En attendant la mise en place du Tribunal arbitral, prévu par l’Article 16 du Traité révisé, la Cour remplit également les fonctions d’arbitre.
6. La Cour peut avoir compétence sur toutes les questions prévues dans tout accord que les Etats membres pourraient conclure entre eux, ou avec la CEDEAO et qui lui donne compétence.
« 7. La Cour a toutes les compétences que les dispositions du présent Protocole lui confèrent ainsi que toutes autres compétences que pourraient lui confier des Protocoles et Décisions ultérieures de la Communauté.
« 8. La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a le pouvoir de saisir la Cour pour connaître des litiges autres que ceux visés dans le présent article. »,
Considérant que l’amendement normatif ainsi intervenu, substantiel et modificatif des lois internes de l’Etat en ce qu’il étend le champ d’abdication par l’Etat de sa souveraineté ne peut être ratifié et, par suite engager l’Etat béninois que sur autorisation de l’Assemblée nationale, promulguée et publiée au journal officiel dans les mêmes termes et suivant les mêmes formes que le Protocole amendé;
Considérant en effet que le protocole additionnel A/SP.I/0l/05
du 19 janvier 2005 ne saurait être opposable à l’Etat du Bénin qu’à la suite de son introduction régulière dans l’ordre interne par un décret de ratification pris suite à une loi d’autorisation de ratification adoptée par l’Assemblée nationale, promulguée par le président de la République et publiée au journal officiel de la République du Bénin; qu’en ce qu’il érige la Cour de justice communautaire en juge supranational de la violation des droits humains censée être commise au Bénin et modifie l’organisation des juridictions nationales et les lois qui les régissent, ce protocole aurait dû être ratifié selon la procédure instituée à l’article 145, alinéa 1 de la Constitution; que ne l’ayant pas fait et ayant donné suite aux différentes procédures engagées sur le fondement de ce protocole, les gouvernements successifs de l’Etat ont privé leur action des devoirs de conscience, de compétence et de probité au
sens de l’article 35 de la Constitution qui dispose que: « Les
citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience) compétence) probité) dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun» ; qu’enfin, les actes qui résultent de la mise en œuvre du protocole additionnel visé sont non avenus à l’égard du Bénin par application de l’article 3 al. 3 de la Constitution selon les termes duquel « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus … » ;
En conséquence,
Article 1er. – Dit que le protocole additionnel A/SP.1/01/05 du
19 janvier 2005 n’est pas opposable à l’Etat du Bénin pour n’avoir pas été ratifié en vertu d’une loi votée par l’Assemblée nationale, promulguée et publiée au Journal officiel.
Article 2.- Dit que les gouvernements successifs qui ont donné
suite aux différentes procédures engagées sur le fondement du protocole additionnel de la CEDEAO A/ SP.1 /01/05 du 19 janvier 2005 en l’absence d’une loi de ratification, promulguée et publiée au Journal officiel, ont violé l’article 35 de la Constitution.
Article 3.-Dit que tous les actes qui résultent de la mise en œuvre du protocole additionnel de la CEDEAO A/ SP.1 /01/05 du 19 janvier 2005 sont non avenus à l’égard du Bénin.
La présente décision sera notifiée à monsieur Michel AHOHOU, à monsieur le Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, au Garde des Sceaux, ministre de la Justice et de la Législation, à monsieur le président de l’Assemblée nationale, à monsieur le président de la République, et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le trente avril deux mille vingt,
Messieurs Joseph DJOGBENOU Président
André KATARY Membre
Fassassi MOUSTAPHA Membre
Sylvain M. NOUWATIN Membre
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