Le Journal de NOTRE EPOQUE

Journal béninois d’investigation, d’analyses et de publicité – Récépissé N° 953/MISPCL/DC/DAI/SCC du 27 mars 2007

Dédramatiser la Covid-19 (Par Topanou Prudent Victor, Maître de conférences de Sciences politique (FADESP/UAC), Ancien Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, de la Législation et des droits de l’Homme).

J’ai été testé positif à la Covid-19 ; j’ai été évacué au Centre Covid d’Allada et j’en suis revenu. C’est vrai qu’être testé positif à la Covid-19 continue d’être, dans notre société béninoise, une source infinie d’angoisse parce qu’automatiquement assimilé à la mort et ce, pour au moins une série de quatre raisons. La première est liée au caractère récent de cette maladie ; l’inconnu suscite toujours toutes sortes d’appréhensions légitimes. Elle fait penser, toutes proportions gardées, au début du Sida et sans doute à d’autres pandémies encore en remontant l’histoire universelle des pandémies . La deuxième est liée au traitement politico-scientifique et médiatique fait de contradictions et de messages parfois brouillés dont elle fait l’objet. La troisième plonge ses racines dans les réalités socio-historiques de notre pays. En effet, dans l’ère culturelle Fon, quand on dit que le «Roi d’Abomey est allé à Allada», c’est pour dire que le « Roi est mort ». Et par extrapolation, tous les Fon se prenant pour des Rois ou des Princes, l’expression « aller à Allada » a pris dans la mémoire collective, le sens de « mourir ». Dès lors, la seule évocation du Centre Covid d’Allada suggère dans la mémoire des Béninois un « mouroir ». Le Gouvernement n’a sans doute pas pensé à cette dimension en choisissant d’installer ce Centre à Allada. Et pourtant le Centre Covid d’Allada n’est rien d’autre que l’Hôpital de Zone d’Allada-Zè-Toffo spécialement réaménagé pour accueillir les malades de la Covid-19 que le centre de Cotonou ne pouvait plus accueillir, faute de capacité ; les populations d’Allada, de Zè et de Toffo ne connaissent donc que trop bien cet Hôpital. La quatrième raison est liée à ce que sont devenus, certes pour une infirme minorité, les réseaux sociaux aujourd’hui chez nous, à savoir des instruments de déshumanisation. Pour cette minorité, les réseaux sociaux servent à annoncer la mort de personnes vivantes et parfois souffrantes à qui on souhaite la mort quand ils ne servent pas à s’attaquer à coups de mensonge à leur vie privée simplement parce qu’on les considère comme des adversaires ou des ennemis. Par-dessus tout, les réseaux sociaux sont devenus pour cette minorité de véritables officines de désinformation et d’intoxication. C’est elle qui répand des contre-vérités sur la réalité de la Covid-19 au Bénin et sur les Centres spécialisés, dont celui d’Allada. C’est vrai que Umberto Eco, à qui il est reconnu universellement un immense talent n’a pas hésité à traiter « d’imbéciles » certains utilisateurs des réseaux sociaux en Italie, et ailleurs en Europe. Il écrivait, en effet, que « les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant, ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité… Aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un Prix Nobel ». Chez nous, cette minorité de gens doit-elle être traitée d’imbéciles ? Je crois qu’ils sont bien pires : ce sont de piètres déshumanisés qui ne méritent que du mépris et du dégoût.
Ceci dit, loin de moi l’idée de faire croire que personne ne meurt au Centre Covid d’Allada : il y a bel et bien des morts à Allada comme il y a des morts au quotidien dans les hôpitaux et centres de santé du Bénin et ce qui fait la nocivité particulière de la Covid-19 réside dans sa capacité à atteindre dans des délais très courts certains organes vitaux et principalement les poumons, les reins et le cœur. Par contre, je soutiens que le Centre Covid d’Allada n’est pas un « mouroir » comme la conscience collective tente de l’accréditer, qu’on peut très bien y être évacué, y être soigné et en revenir. J’en suis un exemple vivant et surtout je dois faire partie des plus de 90% de malades de la Covid-19 qui en guérissent de par le monde et dont malheureusement on ne parle, à mon sens, pas assez ou que trop peu. Et pourtant, je pense comme beaucoup avant moi, qu’il faudra apprendre à vivre avec la Covid-19 et ses différents variants actuels et à venir dans la durée, comme nous nous sommes habitués à vivre avec d’autres maladies avant elle.
Quand on arrive au Centre d’Allada, on est frappé par trois choses, la première c’est le professionnalisme de l’équipe médicale, la seconde, ce sont les équipements disponibles sur place et la troisième, c’est la gratuité du traitement. En ce qui concerne le professionnalisme de l’équipe médicale, c’est vrai que lorsqu’on est habitué à être suivi par les grands Professeurs, Chefs de service au CNHU Hubert K. Maga, on est un peu dérouté par la jeunesse de l’équipe médicale camouflée dans leurs combinaisons de travail qui rappellent d’entrée aux malades qu’ils ne sont pas des malades ordinaires ; ce qu’ils ne sont pas, en effet, compte tenu de leur trop forte potentialité à contaminer ceux qui sont chargés de les sortir d’affaire en tentant de les guérir. Cette équipe médicale coordonnée par le Docteur Glèlè-Aho se dévoue en mode d’urgence, 24h/24 à son travail avec un sourire constant, un dialogue permanent avec les malades et des propos toujours rassurants même si parfois le patient cherche à identifier la limite entre l’effet placébo et la réalité médicale. Les discussions entre Médecins que l’on peut suivre malgré l’état de léthargie dans lequel on se trouve sont également de nature à rassurer. Il m’est même revenu que le Docteur Glèlè-Aho, serait le seul Médecin Béninois à avoir pris part à la Riposte-Covid organisée par la Chine au début de la pandémie : ce qui ne s’invente pas. De mes échanges avec ce Médecin, j’ai retenu une chose, c’est que « personne ne devrait mourir de Covid. Mais pour cela, il faut être pris en charge tôt ». Pour lui, dès les premiers symptômes, désormais connus, il faut se faire tester et quand le test est positif, suivre scrupuleusement le protocole recommandé ; mais dès les premières complications notamment respiratoires, faire appel aux équipes Covid dont les numéros d’appel sont largement rendus publics par le Ministère de la Santé. Il est convaincu que tous ceux qui meurent encore de la Covid-19 au Bénin sont à ranger dans la catégorie de ceux qui ne les appellent que lorsque les lésions sont avancées. Il est même affirmatif : jusqu’à 0,75% de lésion pulmonaire, son équipe et lui savent rattraper ; au-delà ça devient difficile voire impossible car on n’est plus trop loin de l’embolie pulmonaire qui elle est fatale dans 100% des cas. La chance que j’avais, c’est que j’ai été évacué à un moment où j’étais à 0,25% de lésion pulmonaire diagnostiqué par l’échographie et confirmé le lendemain par le scanner. C’est vrai aussi que dès la première semaine de mon test et pendant que j’étais encore à la première phase du protocole, je me suis fait suivre quotidiennement par un Médecin de famille, le Docteur Akpo, qui dès mes premières complications respiratoires a demandé la nuit même, contre mon avis, mon évacuation. Avec le docteur Glèlè-Aho, j’ai appris à dédramatiser et à normaliser la Covid-19.
En ce qui concerne les équipements disponibles à Allada, il faut y aller pour voir et croire. C’est le nec plus ultra qui n’a rien à envier aux hôpitaux européens et chinois. Pour le coup, j’ai été séduit par un centre hospitalier public de mon pays. Entre les respirateurs, les appareils d’échographie et autres appareils nécessaires aux urgences, j’étais bluffé malgré mon état de santé précaire.
En ce qui concerne enfin la gratuité des soins, ce fut le summum du bluff. Quand l’ambulance missionnée pour assurer mon évacuation est arrivée, je n’ai pu m’empêcher de demander à l’ambulancier, selon lui, combien d’argent approximativement je devais prendre sur moi pour ne pas me retrouver en rupture de soins comme c’est si souvent arrivé à des malades au CNHU. Il m’a répondu que tous les soins sont gratuits. J’ai eu du mal à le croire et par prudence, tout de même, j’ai mis cent mille francs en poche avant de rentrer dans l’ambulance. Jusqu’à la sortie, je n’ai en effet déboursé aucun centime. Entre toutes les échographies que j’ai faites (poumons, cœur, reins, prostate, vessie et autres), les analyses quotidiennes de sang, le scanner au CNHU avec le déplacement par ambulance, l’IRM si mon état l’avait nécessitée et les traitements médicamenteux (entre Antirétroviraux, différentes vitamines à prendre in situ et à la maison), tout, absolument tout, est entièrement gratuit, subventionné et donc pris en charge par l’Etat.

Je suis sorti d’Allada avec deux certitudes et une question existentialiste. La première certitude, c’est qu’il est possible de tomber malade et de guérir de la Covid-19. Ma seconde certitude qui découle de la première, c’est que la vaccination n’est pas le seul moyen de lutter contre la Covid-19. Or le monde est rentré dans une course obsessionnelle et effrénée à la vaccination qui laisse pantois. Elle prend même la forme d’une dictature de la pensée unique qui présente tous ceux qui émettent une réserve, même scientifiquement prouvée, contre la vaccination comme étant des irrationnels. Cette attitude ne laisse plus aucune place au débat contradictoire, donc au débat démocratique. A titre personnel, je n’ai rien contre la vaccination mais à condition qu’elle soit présentée pour ce qu’elle est à savoir un des trois moyens de la gamme disponible pour lutter contre le virus, le premier étant les mesures barrières (masques et distanciation sociale) pour se prémunir, le deuxième étant la vaccination pour prévenir les formes graves du virus et encore étant entendu qu’il est établi que même vacciné, on peut toujours être contaminé ! Le troisième étant le traitement médicamenteux lorsque les gestes barrières et la vaccination ont échoué. Je précise qu’au moment où j’étais testé positif je n’étais pas vacciné et qu’à présent dans les délais requis après ma guérison, je le ferai pour prévenir toute nouvelle forme grave de ce virus.
Ma question existentielle pour finir c’est de savoir si l’on peut et si l’on doit établir une échelle de valeur entre les différentes expériences de la mort, autrement dit l’expérience de la mort que l’on fait avec la Covid-19 serait-elle plus importante que celles que certains de nos concitoyens font au quotidien avec les différents types de cancer qui nécessitent des investissements lourds, l’insuffisance rénale qui nécessite de fréquentes dyalises extrêmement coûteuses ou encore tout banalement avec le paludisme dans ses différentes ormes qui fait plus de victimes par an chez nous que toute autre maladie ? J’ai le faible de penser que non. Je considère la gratuité de la prise en charge de la Covid-19 comme une bonne chose, un acquis qu’il faut absolument préserver. Mais je pense que cela doit donner à nos gouvernants une occasion d’ouvrir une vaste réflexion sur la question de la prise en charge par l’Etat de certaines maladies lourdes et au-delà de la réflexion poser des actes comme ils ont su magnifiquement le faire pour la Covid-19 afin que plus personne ne meurt dans notre société de ces maladies-là faute de moyens financiers : en attendant, dédramatisons la Covid-19, prenons-là au sérieux, respectons les mesures barrières, faisons-nous tester dès les premiers symptômes et à la moindre complication, faisons appel au service compétent. Et enfin, pour ceux qui le peuvent et dans la mesure des stocks disponibles, compléter par la vaccination qui demeure pour l’heure, l’unique quoiqu’imparfait, moyen de prévenir les formes graves de la Covid-19 comme celle que j’ai développée.